Les Romanov, Une dynastie sous le règne du sang, Hélène Carrère d’Encausse

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L’histoire des dynasties russes est absolument fascinante. C’est certainement la meilleure façon d’embrasser d’un seul coup d’œil un territoire aussi immense, aussi divers, et avec une culture aussi forte. En observant les successions au trône russe, en étudiant les conquêtes et les défaites, on comprend aussi bien la totalité de l’histoire est-européenne que les dynamiques locales : politiques religieuses, politiques agricoles, les guerres et les invasions nationales tout comme la politique municipale.

Les Romanov ont régné de 1613 à 1917. Trois siècles, quinze souverains, pour le plus grand empire du monde, pour la plupart des personnages absolument brillants et encore reconnus comme d’immenses protagonistes de l’Histoire. Qui ne connaît pas Pierre le Grand, Catherine II, Alexandre II ? Partout autour du monde, leur influence est visible. Ils ont fait de la Russie une très grande puissance européenne et mondiale. Mais cette conquête politique ne s’est pas faite pacifiquement.

Hélène Carrère d’Encausse souligne avec talent l’omniprésence du sang dans l’histoire Russe. La transmission du pouvoir s’est invariablement faite par le meurtre et les conquêtes territoriales ont été arrachées dans une violence ininterrompue. On ne devient pas le pays le plus étendu du monde en période de paix.  L’auteur soulève d’ailleurs une question majeure et tente d’éclaircir les circonstances pour discerner une réponse : est-ce que c’est l’histoire de la Russie elle-même, sa culture et son passé, qui a été le berceau de cette violence ? Est-ce que c’est justement l’immensité de ce territoire, son hétérogénéité religieux, politique, culturel, qui en ont fait un vivier de violence, largement encouragée par le pouvoir légitime ?

Cette question la conduit à étudier les passages au pouvoir de chacun des empereurs et impératrices, leur stratégie, leurs valeurs, leurs rapports avec l’Occident, reprenant pour chacun, l’un après l’autre, les mêmes sujets : situation de l’agriculture, rapports avec la Pologne, situation économique et religieuse du pays. J’aurais aimé des encarts un peu plus synthétiques par moments pour mieux comprendre sur toute la période quelles ont été les évolutions, certains sujets ont vraiment éveillé ma curiosité et j’ai dû aller pêcher mes informations comme si je faisais un exercice de fiche de synthèse à l’école. Mais le sujet est maîtrisé, la fresque est exhaustive et passionnante et j’ai eu beaucoup de plaisir à lire Les Romanov: Une dynastie sous le règne du sang.

Je vous invite à écouter cet enregistrement de Les Lundis de l’Histoire qui parle justement de l’Empire des Romanov et du livre d’Hélène Carrère d’Encausse, ainsi qu’à lire La tragédie des Romanov, beaucoup plus synthétique et tout aussi passionnant.

♥♥♥♥● – 4/5

 

Prix du Meilleur Roman 2015 – Editions Point

 

Très belle nouvelle pour finir l’année : je suis de nouveau juré pour le Prix du Meilleur Roman 2015 des Éditions Point. Je suis vraiment très fière car ma candidature a une nouvelle fois été choisie parmi plus de 2000 dossiers, et vraiment très excitée à l’idée de recevoir dans les prochains jours les premiers titres. Chacun des romans que j’ai reçu l’année dernière ont été choisis avec soin et je n’ai aucun doute sur la qualité de la sélection de cette année.

J’ai fait de la place sur mes étagères, fini en vitesse le livre que je lisais, je suis prête !

On va commencer avec :

  • La confrérie des moines volants, de Metin Arditi
  • Sulak, de Philippe Jaenada (déjà prix des lycéennes de Elle, 2014)
  • Le garçon incassable, de Florence Seyvos
  • Mudwoman, de  Joyce Carol Oates (ouiiiiiiiiiiiii !!! )
  • Un paradis trompeur, de Henning Mankell

Encore merci aux Editions Points, merci à mes lecteurs !

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« 48 heures pour écrire » – Ecrivez une nouvelle sur « Le courage » avant dimanche 19h !

Edilivre organise ce weekend un concours de nouvelles. Le thème est dévoilé depuis vendredi 19h heure française : le courage. Non ce n’est pas une dissertation de philo, nul besoin de préparer un plan tripartite, que les réticents au thèse antithèse synthèse se rassurent la forme est quasi libre.

Voici les informations si vous souhaitez participer (je copie-colle directement du site pour être certaine de ne pas manquer d’information capitale).

Pour participer, envoyez votre nouvelle par courriel à nouvelles@edilivre.com.

Règles du jeu :

Pour être acceptée, votre nouvelle devra :
– être au format Word ou PDF
– respecter la thématique imposée
– ne pas dépasser les 10 000 caractères, espaces compris
– être écrite en police Times New Romans de taille 12 avec interligne simple
– être anonyme : votre nom, prénom ou pseudo ne doivent pas y figurer
– ne pas contenir d’illustrations, images ou photos, uniquement du texte
– les textes sous forme de poème sont acceptés

Le mail accompagnant votre nouvelle devra obligatoirement contenir les informations suivantes :
– nom et prénom du participant
– pseudo du participant s’il souhaite être mis en avant sous un autre nom et conserver l’anonymat
– titre de la nouvelle
– préciser en toutes lettres : « En participant à ce concours, j’accepte pleinement son règlement disponible sur le site Edilivre.com »

Quand saura-t’on les résultats ?

Une 1ère sélection aura lieu du 24 novembre 2014 au 12 janvier 2015 durant laquelle un jury composé d’auteurs et de lecteurs sélectionnera les 10 nouvelles finalistes parmi l’ensemble des textes participants. Edilivre dévoilera la sélection des finalistes le 20 janvier 2015 sur son site.

Puis, jusqu’au 25 février 2015, un jury composé de salariés d’Edilivre ainsi que de responsables des sociétés partenaires du concours sélectionnera les 3 auteurs gagnants parmi les finalistes. Durant cette même période, le public sera appelé à voter sur Facebook pour élire le Prix du Public parmi les 10 nouvelles finalistes.
Les gagnants du concours ainsi que le classement des 500 meilleures nouvelles seront révélés le 3 mars 2015 sur Edilivre.com.

Une excellente initiative à laquelle je vais participer !!

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Quatre Racines Blanches, Jacques Saussey

 

 

Sélectionné pour le Prix des lecteurs du Livre de Poche cette année, Quatre Racines Blanches est un polar français qui se déroule à Montréal. Evidemment, j’étais curieuse de voir ce que ça donnait.

Quelques mots sur l’intrigue pour commencer. Un policier français en formation exceptionnelle au Québec, Daniel Magne, est malgré lui témoin d’une agression qui coûte la vie à un de ses collègues canadiens. Il devient l’élément clé de l’enquête parce qu’il a vu le visage du meurtrier et se fait un devoir de venger l’honneur de son ami. Son périple le conduit dans le Golden Square Mile, dans les quartiers populaires du nord de Montréal et dans une réserve autochtone à Kanawaghe. Cela va de soi, ça se passe en hiver (sinon quel intérêt de le faire au Québec), la neige tombe et le mercure est bas. Les corps s’entassent et le mystère reste intact.

Les personnages sont sympathiques, plutôt bien construits, mais inutilement nombreux. Cela dilue le suspense en demandant trop de concentration sur des points qui ne serviront jamais. L’intrigue est plaisante et originale et dépasse largement ce à quoi on s’attend dans les premières pages. L’auteur aime Montréal et connaît les québécois. La mixité sociale et culturelle, les caractères, les réseaux mafieux, tout est bien rendu.

Je vais faire ma française immigrée mais je dois le dire….J’aurais vraiment aimé lire un texte sans clichés et sans erreurs et ce n’est pas le cas. Les noms des routes, le vocabulaire, il y a beaucoup d’approximations et même de grosses fautes. Un québécois ne parlerait jamais, ô grand jamais, de ses « gosses » pour parler de ses enfants par exemple…

Encore une fois, quand un critique écrit « Un polar intriguant, soutenu par une vision de la jungle urbaine sans concession », il faut vraiment le prendre avec des pincettes ! Personnellement je qualifierai le texte de solide, sans prétention, précurseur de bons textes pour le futur, mais laisserai un gros bémol sur la construction qui à mon goût pourrait être complexifiée pour donner plus de densité à l’intrigue.

Et puis je n’ai jamais rien vu d’aussi cheap que ça….  A regarder !!

♥♥● –2/5

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La Balade de Rikers Island, Régis Jauffret

Étonnant comme on peut se sentir sali à la fin d’une simple lecture. Si vous avez déjà regardé un documentaire sur les paparazzi, vous saurez de quoi je parle. La Balade de Rikers Island est un étonnant cocktail entre une grande brutalité à la Brett Easton Ellis et un style journalistique parfois absurde qui laisse place à des digressions un peu triviales.

Régis Jauffret nous plonge au cœur du scandale de Dominique Strauss-Kahn, si proche d’Anne Sinclair et des protagonistes principaux qu’on croirait presque se promener dans la poche de leur chemise. On s’y engouffre instantanément dès les première secondes du scandale, choqué par la violence de ce qui est arrivé. La proximité avec les gens, les lieux, est radicale : pas de noms de famille, parfois même pas de noms du tout, pas de descriptions des lieux. On sait déjà tout.

Et c’est vrai. A la lecture des journaux, à force de voir les visages des protagonistes, les photos des lieux, on s’est déjà tous fait une idée des décors. On connaît déjà l’histoire. Elle est déjà résumée dans Paris Match me direz-vous, quel besoin d’aller lire ce long texte ?

A la fois romancier et journaliste, Jauffret offre dans La Balade de Rikers Island plusieurs dimensions qu’on ne trouve pas dans le fait divers. Celle de l’immédiateté tout d’abord, en nous donnant l’impression non pas d’entrer dans la pièce et de découvrir la scène mais plutôt d’être déjà dans la pièce et de voir l’action venir à nous. Je parle d’action mais au final il n’y en a pas.  Nul besoin d’en parler, ce qui aurait dû être le coeur du roman, ou son incipit, est relégué au second plan. Si l’on comprend bien le quatrième de couverture, le lecteur n’est pas censé être un contemporain. Le fait qui est à la source du texte serait déjà anecdotique. De plus, l’auteur et une troupe de journalistes partent à la recherche de la jeune femme de chambre en Afrique mais ne la rencontreront pas. On devine l’action principale comme on devine la présence passée d’un verre à la trace qu’il laisse sur une table. Jauffret ajoute aussi une notion d’absence de relief. Chaque scène, qu’il s’y passe quelque chose ou non, chaque conversation, tout a la même importance. C’est une façon très intelligente de retranscrire ce qu’on ressent dans un moment de deuil ou de panique tel que le vit l’épouse de DSK ici. Plus de priorité, plus de logique, rien n’est anodin et la moindre chose peut prendre des proportions aberrantes. Là ou le fait divers crie, fait du tapage, le roman tait et souffre en silence.

Je suis assez étonnée de la façon dont Jauffret a traité ses personnages. DSK n’est pas le protagoniste le plus travaillé. On sent du dégoût, peut-être un écoeurement dû au battage médiatique, on sent une absence totale de respect pour lui. Il n’est même pas nommé. Technique pour éviter les poursuites judiciaires ou dédain total pour quelqu’un qui finalement est tellement défini par son geste qu’il n’a même plus besoin d’être identifié en tant que personne, il y a certainement un peu des deux. Grossier dans la vie, grossièrement traité. Parvenu, sot, monstre priapique, incontrôlable, libidineux, irrespectueux, le tableau est bref et clair. Anne Sinclair est décrite avec plus de profondeur et de finesse. Orgueil blessé, colère, tristesse, honte, elle est traitée dans la dignité. Mais la clé du roman est ailleurs. Le seul personnage nommé, en effet, c’est Nafissatou Diallo, et c’est sur ses traces que Jauffret part, en Afrique et aux Etats-Unis. Serait-elle le personnage principal ? Victime de l’homme, victime des hommes si l’on regarde son enfance, invisible dans la presse et à peine entendue au tribunal, c’est pour elle que Régis Jauffret recrée l’affaire, ajoutant des petites touches à sa fresque pour la rendre unique et réelle. Il lui redonne sa place dans le procès et sa dignité.

La Balade de Rikers Island est un texte brutal, déséquilibré et froid. Le lecteur a un rôle hybride et malsain, à la fois spectateur plein d’empathie pour l’épouse et simple passant, fasciné par les gros titres et le parfum de scandale. On en ressort triste. Finalement, c’est juste l’histoire d’un homme malade et d’une femme malheureuse.

À présent, il était seul. La solitude dans un local trop étroit pour contenir sa rage. Pas le moindre fauteuil à renverser, la moindre chaise, ni vase ni lampe ni animal en porcelaine à jeter par la fenêtre avec quelque chance d’atteindre le crâne d’un bouc émissaire.

On lui avait pris ses cachets, ses barres chocolatées, ses pastilles de menthe. Il aurait tout avalé, montrant son érection aux murs, gerbant les sucreries à la figure du gardien qui viendrait le chercher pour l’emporter sur l’île. On ne lui avait même pas laissé son brûle-gueule pour s’enfumer comme une abeille, tousser, s’étouffer un tant soit peu pour quitter cet état de lucidité qu’il fuyait comme l’enfer.

Portée à ébullition, la haine devient un stupéfiant comme un autre. Il s’est mis à renifler, elle flottait dans l’air. Chaque bouffée le revigorait comme un trait de cocaïne, lui donnait l’impression de pouvoir remonter le temps, retrouver le couloir où son éjaculation dans la bouche d’une femme de chambre avait sonné le glas de sa carrière.

 

 

♥♥● – 3/5

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Le Prix du meilleur roman des Editions Points 2014

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Un petit mot sur le concours

Tout d’abord je voudrais remercier Les Editions Le Cercle Points et l’écrivain Agnès Desarthe de m’avoir sélectionnée pour être jury du concours. Cela fait plusieurs années que je rêvais de participer et cette année ça a été un réel plaisir de lire ces livre soigneusement sélectionnés. J’y ai découvert de nouvelles plumes, j’ai eu des coups de cœur, j’ai appris, j’ai partagé nombre de ces livres avec mon entourage et j’ai déjà acheté les autres textes de certains des auteurs choisis. Vraiment, cela a été une très belle expérience que je renouvellerai avec honneur et joie.

Mon analyse

Étonnante sélection que cette d’Agnès Desarthe. Déjà nous avons majoritairement des plumes féminines, 7 romans sur 10 sont écrits par des femmes. Si c’est un choix volontaire, c’est un angle respectable, mais je trouve que cela déséquilibre complètement le concours : après la lecture de plusieurs romans féminins nous sommes plus susceptibles d’être touchés par une plume différente et masculine, au moins d’accueillir le changement avec plaisir. Les romans ne se ressemblent pas, certes, ni en format, ni en style, ni sur le sujet, mais nous avons quelques éléments similaires, qui en disent long sur les goûts de la personne qui les a compilés. Par exemple, les personnages sont tous des anti-héros qui portent en eux une blessure forte : identité sexuelle chez Winterson, place dans la famille chez Bender, place dans le monde chez Kushner, dans le couple chez Recondo, incapacité à aimer chez Tesich, figure paternelle chez Coulon, Gethers et Egan, ambition frustrée chez cette dernière et chez Beattie. Tous sont des personnages simples qui se battent avec le quotidien. On a beau partir à Cuba ou fréquenter des sociétés où l’argent et le champagne coulent à flot (Beattie, Tesich), tous se battent avec la vie de tous les jours, et des armes limitées.

J’ai découvert avec beaucoup de plaisir Jeanette Winterson et Ann Beattie, approfondi mon amour pour Eugenides et suivrai certainement de près et avec curiosité les carrières de Mesdames Kushner et Coulon.

Palmarès (très) personnel 2014

  1. Le roman du mariage, Jeffrey Eugenides
    ♥♥ –5/5
    La perfection faite livre. Un condensé réjouissant et fin aux multiples références littéraires, un livre intelligent, abouti et avec une réelle personnalité.
  2. Pourquoi être heureux quand on peut être normal, Jeanette Winterson
    ♥♥● –4/5
    Le texte plus authentique, le plus simple, le plus touchant.
  3. Promenade avec les hommes, Ann Beattie
    ♥♥● –4/5
    Le plus efficace et le plus surprenant. Un court roman qui nous emmène bien plus loin que les premières pages le laissent penser.
  4. Karoo, Steve Tesich
    ♥♥● –4/5
    Un roman original, avec beaucoup de personnalité.
  5. La singulière tristesse du gâteau au citron, Aimee Bender
    ♥♥● –3/5
    Le plus tendre.
  6. Télex de Cuba, Rachel Kushner
    ♥♥● –3/5
    Le plus dépaysant.
  7. Le roi n’a pas sommeil, Cécile Coulon
    ♥♥● –3/5
    Le plus sobre.
  8. Les baleines se baignent nues, Eric Gethers
    ♥♥● –2/5
    Le plus perturbé.
  9. Qu’avons-nous fait de nos rêves ?, Jennifer Egan
    ♥●●●● –1/5
    Le plus difficile à finir.
  10. Rêves oubliés, Léonor de Récondo
    ♥●●●● –1/5
    Le plus vite lu, le plus vite oublié.

Sur le podium des 3 meilleurs passages

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La singulière tristesse du gâteau au citron, Aimee Bender

Ma mère avait fait ce gâteau pour moi, sa fille qu’elle adorait tellement qu’à mon retour de l’école, je la voyais parfois serrer les poings à cause d’un trop-plein d’émotion et quand elle me  prenait dans ses bras pour m’accueillir, je devinais combien ce geste était insignifiant par rapport à tout ce qu’elle voulait donner.

Pourquoi être heureux quand on peut être normal, Jeanette Winterson (deux passages ex-æquo)

Le trajet utérus-tombeau d’une vie est intéressant – mais je ne peux pas écrire la mienne ; je n’ai jamais pu. Pas avec Les oranges. Pas plus aujourd’hui. Je préfère continuer de me lire comme une fiction que comme un fait.

Il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre qu’il existe deux types d’écriture ; celle que l’on écrit et celle qui nous écrit. Celle qui nous écrit est dangereuse. Nous allons là où nous ne voulons pas aller. Nous regardons où nous ne voulons pas regarder. 

Le roman du mariage, Jeffrey Eugenides

Dans le Phèdre de Platon, les discours du sophiste Lysias et du premier Socrate (avant que celui-ci ne fasse sa palinodie) reposent tous deux sur ce principe : que l’amant est insupportable (par lourdeur) à l’aimé.

 

Merci à mes lecteurs des derniers mois, et je croise fort les doigts pour que l’expérience se reproduise !

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Alea jacta est !

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Ça y est ! Le prix du Meilleur Roman 2014 des lecteurs de Points, c’est fini pour moi ! J’ai envoyé mon vote final. Dans quelques semaines nous saurons ce qu’ont pensé les lecteurs et libraires de la sélection et quel titre est le grand gagnant. Le suspense est intolérable 🙂 En attendant je remercie les Editions Points et Agnès Desarthe de m’avoir choisie comme membre du Jury et de m’avoir envoyé tous ces titres que j’ai eu un plaisir fou à découvrir.

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Le roman du mariage, Jeffrey Eugenides

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Dès la première page j’ai su que ce roman serait parfait. Les premiers mots, les premières références, le prénom de l’héroïne, le lieu, tout me parlait et me soufflait de venir m’engouffrer dans ces pages et que le voyage serait inoubliable. Le Roman du Mariage, de Jeffrey Eugenides, est grandiose: mûri, complexe, fin, drôle, savoureux et bourré de références classiques choisies avec énormément de goût. 

Nous y découvrons Madeleine, une jeune universitaire en lettres à l’Université de Brown, pas nécessairement la plus intelligente de sa promotion ni la plus assidue, mais une jeune fille vive, sensible, issue d’une famille aisée et particulièrement jolie. Le jour de sa remise de diplômes, se remettant à peine d’une rupture douloureuse, elle rencontre ses parents pour un petit déjeuner avant la cérémonie. Les chapitres reprennent ensuite l’histoire au commencement, relatent comment elle a rencontré son amoureux Leonard, un beau garçon intelligent mais bipolaire et comment Mitchell, son meilleur ami, est tombé amoureux d’elle.

Madeleine suit un séminaire déserté par les étudiants, Sémiotique 221, que l’auteur lui-même expliquera mieux que quiconque :

Selon Saunders, le roman avait connu son apogée avec le roman matrimonial et ne s’était jamais remis de sa disparition. A l’époque où la réussite sociale reposait sur le mariage, et où le mariage reposait sur l’argent, les romanciers tenaient un vrai sujet d’écriture. Les grandes épopées étaient consacrées à la guerre, les romans au mariage. L’égalité des sexes, une bonne chose pour les femmes, s’était révélée désastreuse pour le roman. Et le divorce lui avait donné le coup de grâce (…). Qui utilisait encore le mariage comme ressort narratif ? Personne.

Commence alors un triple défi: pour Jeffrey Eugenides, qui va rendre ses lettres de noblesse au mariage et l’instaurer coûte que coûte dans sa narration, où il finira inéluctablement par avoir un rôle mineur, défi pour Madeleine, qui va finir par faire de ce sujet son mémoire et construire à la fois son identité et sa conception de l’amour autour des concepts de Barthes, largement embrassés par son fiancé Léonard, et défi pour toute une génération perdue de jeunes adultes en construction, elle qui ne sait plus quelles sont ses valeurs à cette époque où tous les choix sont possibles.

Le triangle amoureux est extrêmement intelligent, équilibré et travaillé. Chaque personnage a une personnalité propre, un contexte, une sensibilité différente. Si Madeleine vit l’amour comme le vivait Henry James, avec passion, douleur et aucun recul, Leonard en déconstruit le discours jusqu’à ce qu’il perde tout son sens, et Mitchell en cherche la sublimation dans la théologie et le don de soi. Les trois identités nous permettent de vivre leur histoire sous trois angles différents et de faire nos propres choix face à la question posée à chacun : comment veut-on vivre son expérience de l’amour ? Madeleine, jeune fille aisée, jolie, bourgeoise, veut se considérer comme féministe et moderne mais elle est choquée que sa sœur divorce et choisit de se marier jeune. Sa modernité ? Revendiquer un penchant pour le sexe (ce qui dans les faits est complètement faux, puisqu’elle n’a jamais le courage d’assumer ses pulsions quand elles viennent), choisir un amant bipolaire et issu d’une classe sociale différente de la sienne. Bref, plus Elizabeth Bennet que Simone de Beauvoir. Leonard, lui, refuse de tomber dans les clichés du discours amoureux… Mais rappelons que c’est le beau gosse du campus, celui qui a mis dans son lit toutes les filles de sa promotion. Il refuse même l’amour quand il se présente à lui, mais finit par habiter avec sa fiancée, alourdi de nombreux kilos, ayant abandonné toute vie sociale et tout amour-propre. Mitchell le sage, éconduit de nombreuses fois, ne s’impose jamais et part en croisade pour retrouver le sens véritable de l’amour. Il choisit l’exil et l’abandon de tout, à commencer par ses cheveux, pour finir par ses livres chéris, et se fait éconduire une nouvelle fois, refusant à ce roman pourtant prédestiné, le happy ending qu’il réclamait depuis le début.

Jeffrey Eugenides reprend avec un talent fou ces sujets évidemment aussi intemporels qu’internationaux que sont les rapports amoureux, et les rend avec une modernité d’autant plus saisissante qu’elle se glisse dans un écrin universitaire riche et conservateur, et met en abîme les résultats de ses analyses en les calquant à une génération qui se croit différente, véritables petits sociologues en herbe se baissant pour observer des comportements qui sont exactement similaires aux leurs.

J’ai fait la même chose au même âge, nous raconte Eugenides. Madeleine est une jeune femme contemporaine qui n’a pas envie de se laisser aller à la sentimentalité de l’amour et qui décide de lire Barthes pour déconstruire le sentiment amoureux. Elle lit de la théorie pour s’armer contre l’amour. Et pourtant, rien n’y fait, elle y succombera. Le paradoxe avec ce texte de Barthes, qui est un exercice de déconstruction, c’est qu’il provoque l’effet inverse : les étudiants qui le lisaient autour de moi en fac en sortaient dans une humeur encore plus sentimentale. En tant qu’auteur, je suis face à mon texte comme Madeleine face à l’amour : je voulais écrire une histoire d’amour mais en l’écrivant depuis aujourd’hui, c’est-à-dire de façon expérimentale. Tiraillé entre l’écriture du sentiment et l’avant-garde littéraire.

(citation de l’auteur trouvée dans un excellent article des Inrocks)

Roman d’amour, roman d’initiation, roman de mariage aussi, mais un mariage moderne. Un mariage qui peut échouer, qui a été consommé, qui n’a plus une si grande signification.  On n’est pas si loin de Jane Austen, ici aussi les mariages arrivent à la fin de l’intrigue et sont loin d’être l’élément important de la narration comme on peut le voir dans de mauvais livres de littérature pour filles. Mais les jeunes filles ne sont plus les mêmes.  Les mariages non plus, loin d’être une fin en soi, ils peuvent être annulés, réinventés, trompés. Le personnage de Mitchell, étonnant avatar de l’auteur qui partage avec lui un nom de famille à consonance grecque, est justement le dernier rempart contre la perte de sens du discours amoureux moderne. Fragmenté et égoïste comme l’a remarqué Barthes, il est finalement à voie unique, et même s’il est le seul à le comprendre réellement, Mitchell se raccroche tout de même à ses sentiments avec force.

Comment un livre qui commence par citer Austen et Wharton peut jouxter à ces sages références des pages scandaleuses évoquant la gueule de bois massive et la robe tachée de Madeleine, comment peut-il coller un passage romantique à un dialogue sur l’éventualité de déféquer chez son copain ? Eugenides propose une alternance étonnante entre des passages écrits dans le style réaliste de Henry ou Austen, des passages incroyablement pragmatiques de la vie de tous les jours, et des passages qui lient un peu les deux réalités comme les deux passages que je cite ci-dessous, créant ainsi sa propre sémiotique du discours amoureux.

En écoutant Leonard, Madeleine se sentait handicapée par son enfance heureuse. Elle ne se demandait jamais pourquoi elle agissait de telle ou telle manière, ou en quoi ses parents avaient influencé sa personnalité. Avoir été privilégiée avait émoussé sa capacité d’observation. Alors qu’à Leonard, aucun détail n’échappait. Comme lorsqu’ils allèrent passer le week-end à Cape Cod (en partie pour visiter le laboratoire de Pilgrim Lake, où Leonard sollicitait un poste d’assistant). Sur la route du retour, dans la voiture, il dit :

– Comment tu fais ? Tu te retiens ?
– Quoi ?
– Tu te retiens. Pendant deux jours. Tu attends d’être rentrée chez toi.

Finissant par comprendre, Madeleine s’exclama :

– Non mais je rêve !
– Jamais, à aucun moment, tu n’as coulé un bronze en ma présence.

 

Voir Leonard aller mieux était comme lire certains livres difficiles. c’était comme on avançait péniblement dans les derniers romans d’Henry James, ou dans les pages sur la réforme agraire d’Anna Karénine, et que, brusquement, ça redevenait captivant et ça continuait à s’améliorer, jusqu’à ce qu’on soit tellement emballé qu’on en venait presque à être content du passage ennuyeux précédent car il n’avait rendu la suite que plus délectable.

J’ai personnellement adoré ce roman. Madeleine est parfaite. Elle a un filofax, vient d’une région que j’aime, n’achète son thé que chez Fortnum & Mason – et ne prend que de l’Earl Grey –  elle va en weekend à Stowe, elle aime Austen, elle aime lire, les vieux livres dans les bed & breakfast, je me suis retrouvée à chacune des 572 pages du livre. Le roman est intelligent et sensible, un de ceux qu’on relira tous les dix ans avec un immense plaisir. Et au final la seule conclusion que l’on peut en tirer, à mes yeux, est que la conception de l’amour et l’expérience de l’amour se nourrissent fortement de nos lectures, et c’est un postulat auquel je ne peux qu’adhérer.

Si je peux me permettre un petit aparté… encore une fois le très mauvais quatrième de couverture dissuaderait presque d’ouvrir l’ouvrage et gâche franchement l’expérience.

♥♥♥ –5/5

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